jeudi 28 octobre 2010

Une arme de destruction massive qui n'intéresse personne...et autres histoires

Une affiche m'attend à la Polyclinique internationale de Bamako où je viens me faire tester pour ce qui semble être un paludisme. Un moutisque a sa trompe fichée en plein coeur d'une énorme goutte de sang qui représente les contours de l'Afrique. Cette image vaut mille mots. Car si pour moi il suffit d'une prise de sang et de quelques médicaments largement accessibles à mon portefeuille pour me guérir en quelques jours, près de 2 millions de personnes perdront la vie cette année encore en Afrique des suites de cette maladie.

Le Mali a fait de gros efforts en santé, notamment en mettant en place des centres de santé commu-nautaire gérés par les collectivités et localisés dans à peu près tous les coins du pays. Mais les tests ne sont pas toujours des plus fiables (mon premier test diagnostiquait une infection aux streptocoques alors qu'un deuxième confirmait un palu) et même si les médicaments sont relativement bon marché, ils ne sont pas accessibles à tous. Alors qu'attend la communauté internationale et surtout médicale, pour trouver une solution une fois pour toute à ce fléau et éradiquer ce tueur silencieux?

La grande Mosquée de Djenné
Djenné, au coeur de l'histoire 

Djenné est un joyau d'architecture, un des rares témoins de l'histoire passée du Mali, surtout quand on sait que ses momuments, dont une très fameuse mosquée, sont fait de boue, de beurre de karité, de paille et de fruits du baobab pour former une mixture solide cuite au soleil, mais tout de même friable au contact avec les éléments. Djenné est une ville maure fortement marquée par l'influence du Maroc. D'ailleurs ces ruelles tortueuses et ces édifices en terre rappellent bien des villages de l'Atlas et de la Mauritanie.




Cassandre devant la mosquée












Vendeur de jouets faits de vieilles canettes de coca cola


La vie s'écoule doucement à Djenné, dans le bourdonnement incessant des jeunes talibés répétant inlassablement les 104 sourates du Coran jusqu'à les savoir par coeur. Les vieux se reposent sur des nattes, les femmes vaquent avec nonchalance à leurs occupations, tandis que les commerçant offrent avec nonchalance leurs marchandises aux rares clients. C'est qu'il fait chaud à Djenné!


Fenêtre en moucharabiée
Djenné vue des toits

Jeune talibé à l'étude
Deux aînés ravis de l'attention qu'on leur porte






jeudi 21 octobre 2010

Petit poisson deviendra grand : la MECREPAG

La Guinée a beaucoup de cours d'eau venant des montagnes, mais aussi une longue côte sur l'océan atlantique où abondent petits et grands poissons. Sur la ligne d'horizon se dessinent les silhouettes de grands bateaux de pêche étrangers, entre-autres coréens ou japonais "pilleurs" des mers. En Guinée, la pêche est artisanale, c'est-à-dire que des pêcheurs individuels ou en petits groupes de deux à six partent dans des barques en forme de pirogue avec une petite voile et des filets qu'ils lancent dans l'eau pour attraper des poissons. La pêche consitue la principale source de protéines des Guinéens qui en consomment 13kg/habitant/an.

La pêche artisanale ne se limite pas aux seuls pêcheurs, en fait c'est toute une "industrie" qui fait vivre de nombreuses familles et comprend bien des acteurs différents : il y a en plus des pêcheurs et les débardeurs, tous des hommes, les femmes fumeuses de poissons et mareyeuses (qui vendent les poissons), les constructeurs de pirogues, les mécaniciens, les détaillants de matériel de pêche tel que les filets, les flotteurs, l'essence, la glace pour garder le poisson frais, pièces de rechange des moteurs, et bien sûr les armateurs ou propriétaires de barques (les bateaux ont la forme effilée des pirogues, mais sont larges comme des barques d'où une terminologie interchangeable).

La pêche est un métier très difficile : la mer est dangereuse et traitresse, les stocks de poisson ont diminué avec les années, résultat d'une pêche intensive de gros bateaux étrangers, forçant les pêcheurs à s'éloigner de plus en plus des côtes. Et la saison des pluies, qui dure presque quatre mois dans cette région, force les pêcheurs au chômage une bonne partie de l'année. Pour augmenter leurs prises, les pêcheurs cherchent à se procurer un moteur pour leur barque, ce qui leur permet non seulement de se rendre plus loin plus vite, mais réduit aussi considérablement la dépendance au vent pour se déplacer. Mais seuls 29 pour cent des pêcheurs ont actuellement un moteur à leur barque.

Femme venant faire le dernier remboursement de son prêt
Mais les moteurs coûtent chers, très chers pour les petits pêcheurs qui n'ont pas accès à des prêts des institutions bancaires, n'étant que très rarement solvable (il y a peu, le gouvernement guinéen s'est totalement désengagé du secteur de la pêche artisanale qu'il subventionnait auparavant. C'est ainsi qu'avec l'aide du CECI, l'Union des pêcheurs artisanaux de Guinée a mis sur pied une mutuelle d'épargne et de crédit destinée essentiellement aux acteurs de la pêche artisanale. La MECREPAG a vu le jour en 2007, dessert aujourd'huit 18 débarcadères (petits ports) sur le littoral autour de Conakry et vient d'ouvrir une succursale à Kamsar, plus à l'ouest.



 Le but principal des services de micro-finance est de faciliter l'approvisionnement en matériel et outils de pêches. Les différents corps de métier de la pêche (pêcheurs, fumeuses, mécaniciens) sont souvent regroupés en coopératives, ce qui leur permet d'obtenir des prêts plus facilement et assurent une responsabilité partagée des remboursements. Le crédit a d'abord été donné aux femmes qui ont des besoin moins grands. Par exemple, les fumeuses et les mareyeuses ont besoin d'argent pour acheter le poisson directement aux pêcheurs et les fumeuses pour les fours; le bois et les claies de séchage. Pour Salématou Bamboura (ci-dessus), qui auparavant fumait des poissons que lui donnaient des femmes nanties, aujourd'hui achète, fume et vend son propre poisson et
Avec les femmes fumeuses de poisson
au port de Téminétaye, à Conakry

ce, jusqu'à l'étranger. Elle s'est ouvert un compte d'épargne, envoie ses cinq enfants à l'école privée, peut se permettre des soins médicaux et entretient la famille pendant les quatre mois où son mari pêcheur ne peut travailler.

La MECREPAG a aussi prévu un fonds d'urgence pris à partir des cotisations des adhérents de la mutuelle. Ainsi, si un pêcheur perd son filet en mer, son ancien prêt est annulé et un nouveau accordé pour qu'il puisse se remettre au travail. Le fonds est aussi important pour les veuves des pêcheurs. Bouba, lui avait tout perdu en mer à la suite d'un naufrage. Rescapé, il a pu repartir à zéro avec un deuxième prêt rendu possible grâce au fonds d'urgence (en règle générale, un prêt doit être entièrement payé avant de pouvoir en demander un autre).

Des prêts ont aussi été accordés très rapidement aux coopératives des mécaniciens, soit pour en former des nouveaux, soit pour les aider à obtenir les pièces de rechange et les outils pour réparer les moteurs. Bref, la MECREPAG a permis à des centaines d'individus et à de nombreuses coopératives de se mettre au travail, d'augmenter leurs revenus et même de créer des emplois. Aujourd'hui la mutuelle voit grand et songe déjà à ouvrir d'autres succursales sur tout le littoral guinéen.
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mardi 19 octobre 2010

Un lifting pour Conakry?

 
Une des nombreuses plages

Conakry n'est vraiment pas belle, elle expose sa laideur au vu et au su de tout le monde, sans vergogne : ses grandes rues où déferlent des voitures aux amortisseurs bien fatigués, ses ruelles défoncées qui cachent derrière ses murs rongés par l'humidité des villas qui auraient bien besoin d'un bon coup de peinture, les bas-côtés de terre où toute une foule vaquent à ses occupations, vendeurs de carte orange (pour les téléphones), de baguettes de pain, de café noir et sucré, et puis les enfants qui jouent au foot avec des ballons miniatures, des salons de coiffure tous les trois mètres, des bébés qui vacillent sur leurs pieds, des chiens et chats errants.

Et pourtant, j'aime cette ville qui se veut langoureuse et effrénée, ensorceleuse et vulgaire à la fois. Conakry s'étend  sur une longue presqu'île qui se termine en pointe. Et le centre ville se trouve à l'extrême pointe, ce qui fait que c'est l'enfer pour se rendre en ville à partir des banlieues, car toutes les routes convergent en trois voies d'accès princi-pales qui se rejoignent à la pointe. S'il est facile de s'orienter, il n'est vraiment pas facile de se déplacer le matin vers le centre et le soir vers les quartiers résidentiels plus au nord. Mais le site de Conakry, bordé par la mer sur trois côtés est indéniablement de toute beauté, même s'il faut plutôt l'imaginer que le voir. Et c'est là tout ce qui manque à Conakry, une vision et une planification urbaines.


De la peinture fraîche, des trottoirs larges et bordés d'arbres, une promenade le long de la mer, des plages propres, des places carrelées, des enseignes gaies, Conakry a tout le potentiel d'être une grande ville moderne et belle. Mais voilà, la cueillette des ordures fait défaut dans bien des quartiers, les déchets de plastiques envahissent les rues, les routes étroites sont criblées de nids de poule dévastateurs, les murs sont verts de mosissure.

En fait, ce qui fait la grandeur de Conakry, ce sont ses habitants. Ici Peuls, Soussous et Malinkés cohabitent pacifiquement. Les Peuls et les Soussous, surtout, ont le rire facile, l'accueil chaleureux, la courtoisie exemplaires. On se déplace en taxis collectifs. Malgré le trafic intense, les conducteurs sont courtois et disciplinés, rare sont les accrochages même là où on ne voit qu'un grand embrouillamini de voitures qui semblent aller dans tous les sens. Les conducteurs connaissent leur place et pressentent les actions de leurs congénères, c'est assez fascinant!

La volontaire Amélie Côté devant son bureau de la
MECREPAG au milieu de la foule d'un port de pêche

Les nombreux ports sont des lieux d'action trépidante. Mais même là où se cotoient pêcheurs fumeuses, mareyeuses, mécaniciens dans une foule bigarrée de Guinéens et de réfugiés sierra léonais, la foule est joyeuse, le désordre organisé. On ne se sent pas menacé par cette foule et il ne faut jamais se fier au laisser-aller des bicoques qui peuvent cacher des bureaux accueillants, de supers restaurants où des boutiques regorgeant de denrées. Bref Conakry recelle de petits coins agréables qu'il suffit de découvrir. Ceux et celles qui se donnent le temps d'apprivoiser la ville se feront petit à petit séduire par ce que cache les apparences trompeuses d'une ville qui se cherche encore. Moi je suis séduite par Conakr.

samedi 9 octobre 2010

Le Fouta Djalon, les Peuls et la politique

 








Le Fouta Djalon
Le Fouta Djalon est une région montagneuse du nord de la Guinée où foisonnent montagnes vertes et cascades blanches. C'est une verdure exubérante, des herbes folles, des canyons vertigineux, des sentiers tortueux, des torrents impétueux, des villages nichés sous les arbres où dressés sur les hauts plateaux, des gens racés, débrouillards et hospitaliers. C'est la terre des Peuls, le berceau de leur histoire avant qu'ils ne se disséminent un peu partout en Afrique de l'Ouest. Ici, on parle poulard, on est musulman, on a comme héros Alpha Yaya Diallo (un des grands rois peuls) et Cellou  Dalein Diallo, le politicien gagnant du premier tour des élections guinéennes de 2010.
  
Le Fouta, c'est aussi une terre de prédilection pour le trekking, les sentiers sont multiples et les paysages variés à couper le souffle. Fin saison des pluies, les sentiers disparaissent sous les herbes bien nourries, les pierres sont glissantes, les torrents dévalent et il fait encore très chaud et humide. Mais les nombreuses cascades et piscines naturelles permettent aux marcheurs de laver leur fatigue dans une eau fraiche et douce. En route, nous dormons parfois chez l'habitant, qui nous laisse sa case pour aller dans sa famille, parfois dans des cases construites pour accomoder les visiteurs. Les cases peules sont spartiates, mais construites avec ingéniosité. En effet un double mur d'un mètre de haut environ et protégé par le toit de chaume qui descend presque jusqu'au sol permet d'avoir un couloir circulaire à l'extérieur de la case qui sert à la fois d'espace de rangement, de cuisine et d'abri contre la pluie et le soleil, bien installés sur des tabourets creusés à même les troncs d'arbre où balancés dans un hamac fait de cordes de chanvre. Souvent, les cases sont joliment décorées à l'extérieur, tandis que l'intérieur, qui ne contient que les lits et les maigres possessions des familles, ne sert que pour dormir la nuit. Le jour, on vit dehors ou dans le couloir circulaire de la case.

Les repas se prennent en famille, chacun piochant des poignées de nourriture avec la main dans un grand plat commun. On mange du fonio (une céréale locale au grain petit comme du couscous fin et très léger) ou du riz avec des sauces faites de feuilles de manioc ou de feuilles de patates douces, avec parfois des gombos, et dans lesquelles on ajoute un petit morceau de viande, poulet, boeuf ou mouton. Un matin en partant, le guide me demande si je veux manger du poulet le soir. Ayant répondu oui, nous sommes partis, le guide devant, moi derrière et un porteur fermant la marche avec notre repas à la main, un coq vivant; porté par les pattes attachées, la tête en bas. Il fera avec nous le trajet de 6 heures, mangeant lui aussi pendant les arrêts et ce jusqu'à notre arrivée au village où il aura le cou tordu sans autre forme de procès.
 
"Doï doï" ne suffit pas toujours
pour éviter la chute

De toubab cadeaux à Porto photo
Ndiaram, ndiaram. Cent fois par jour nous répétons ces mots qui veulent dire à la fois bonjour, merci et au revoir. Quand on croise une personne dans les sentiers, on s'arrête pour les salutations d'usage. Dans les villages, tous les habitants, à commencer par les enfants, viennent nous saluer. Au Sénégal, les touristes blancs sont interpellés par un " Toubab, donne moi un cadeau ", alors qu'ici on nous salue d'un " Porto prends ma photo ". Porto se réfère à Portugais, les premiers blancs dans le coin. Mon guide, lui, est adepte du "doï doï", doucement, doucement sur les sentiers traitres en cette saison. Les habitants nous offrent le thé, dont le rituel peut prendre jusqu'à deux heures de temps. En effet, le thé se prépare en trois étapes. Les feuilles sont bouillies une première fois dans une casserole, puis le thé est versé d'une tasse à une autre en un long jet fumant jusqu'à faire monter une mousse impressionnante. Lorsque la mousse est jugée satisfaisante, le thé est servi. Une deuxième puis une troisième tasse sont préparées de la même façon en rajoutant à chaque fois de l'eau au même feuilles de thé. La première tasse est ainsi très amère, la deuxième un peu moins et la troisième carrément très sucrée. Les Peuls disent "sucrée comme la vie, sucrée comme la mort et sucrée comme l'amour" pour les trois tasses rituelles.

Chez les enfants peuls, les aînés
s'occupent toujours de leur cadet

Les Peuls et le commerce 
Mais les Peuls du Fouta Djalon, c'est aussi un peuple très débrouillard qui arrive à se faire une bonne vie, malgré l'éloignement et surtout le désintéressement du gouvernement, bien loin à Conakry. Au Fouta, il y a une richesse incroyable qui ne demande qu'à être exploitée : une richesse des terres et une variété innombrables de cultures de céréales, fruits et légumes, de l'élevage de vaches, moutons et chèvres et surtout, de l'eau en masse, de l'eau à boire, de l'eau pour les cultures et enfin, de l'eau pour produire de l'électricité. Malheureu-sement, tout cela reste très limité; les coupures d'électricité sont incalculables, les unités de production faibles, la transformation et la commercialisation inexistantes. Pourquoi? Il n'y a pas de volonté politique de la part du gouvernement central. Résultats, il n'y a pas assez d'électricité pour alimenter des unités de transformation, pas de routes pour transporter et vendre dans le reste du pays les produits et donc les fermiers, qui pourraient produire plus sans difficultés, ne le font pas car tout surplus est irrémédiablement perdu. Et les jeunes dans tout çà, n'ont pas d'emploi et se dirigent vers les villes. Alors c'est la débrouille, le petit commerce et l'entrepreneuriat, légal comme illégal, comme le trafic de motos et de cigarettes par delà les frontières. En fait, le Fouta est plus tourné vers la région peule de Kédougou au Sénégal ou encore vers le Mali. Là encore, les routes font défaut alors que ces dernières permettraient un désenclavement de cette région qui pourrait déboucher sur un commerce florissant. Mais les frontières et les gouvernemements en ont décidé autrement jusqu'à présent.

Cellou Dalein Diallo
C'est pourquoi les Peuls fondent tous leurs espoirs en la personne de Cellou Dalein Diallo, le candidat aux premières élections libres du pays qui a remporté le premier tour avec 44 pour cent des votes; devant son adversaire Alpha Condé, bon deuxième avec seulement 18 pour cent des votes. Dans les villages reculés du Fouta, les enfants venaient chanter devant notre case une chanson reprise par les radios et sur toutes les lèvres des Peuls :

Avec Cellou président, plus de coupures d'électricité
Avec Cellou président, plus de routes démolies
Avec Cellou président, plus de chômage
Avec Cellou président, ...

Militants pour Cellou Diallo dans les rues de Conakry
C'est dire que les attentes sont énormes pour ce candidat. Mais depuis l'indépendance en 1970, le pays a toujours été gouverné par des Soussous ou des Malinkés, deux ethnies importantes (mais moins nombreuses que les Peuls) de la Guinée. Alors les Peuls disent que c'est à leur tour et je le leur souhaite sincèrement. Mais surtout, je souhaite que tous les peuples de ce pays accepte les résultats des prochaines élections, quel qu'il soit, et que celles-ci se passent dans le calme et la démocratie transparente. Car les tensions sont palpables à Conakry, et les partisans d'Alpha Condé ne sont pas prêts de lâcher prise. Cependant; je crois les Guinéens prêts à tourner la page sur leur histoire tumultueuse et à enfin se concentrer sur le développement de leur beau et riche pays.





vendredi 8 octobre 2010

Motocross et filière peule


Avec ma belle monture et le chauffeur Alassan
Mon séjour au Sénégal tire à sa fin, il faut que je songe à traverser la frontière et à me rendre en Guinée. Les élections là-bas sont reportées au 24 octobre et tout est calme en ce moment. Mais Apha, mon guide pour  la région de Kédougou, ne veut pas me voir partir en taxi-brousse, de toute façon, dit-il "les véhicules ne passent pas à cause des pluies qui ont démoli la plupart des pistes existantes." Il faut pourtant bien que je passe de l'autre côté de la montagne, je suis trop enfoncée dans le pays pour faire demi-tour et changer de route! Alpha se débrouille donc via la " filière peule " pour me trouver une moto avec chauffeur.
La filière peule. Le premier Peul que j'ai rencontré est Amadou Bah, du bureau CECI à Dakar. Et c'est certainement le Peul le plus doux et le plus gentil que j'ai connu. Puis j'ai rencontré Dian Diallo, du bureau CECI à Conakry, tout aussi gentil qu'Amadou. J'avais donc très hâte de connaître ce peuple, à l'origine des nomades éleveurs de bétail, fiers et arrogants, belliqueux et guerroyeurs, prêts à tuer pour sauver l'honneur mais aussi prêts à s'entretuer pour accéder au pouvoir*...

Amadou a été mon premier contact qui m'a guidé pour mon voyage. Puis il y a eu Alpha Diallo, le guide de Kédougou et sa très nombreuse famille, ses amis et compatriotes dans tous les petits villages traversés. Et puis, il a demandé à Alassane Bah, son neveu et à Abdou Diallo, un jeune Peul guinéen de m'emmener en Guinée. Les Peuls Cellou Diallo, gestionnaire et guide de Fouta Trekking Aventure à Labé en Guinée, a pris la relève et avec son ami et guide Mamadou Dian Diallo m'ont guidé pendant plusieurs jours de trek au Fouta Djalon. Pendant tout ce temps, Dian Diallo du CECI me précédait ou me suivait (via le téléphone peul) en s'assurant que partout où je passais, quelqu'un (un Peul bien entendu) s'occupe de moi.
  
Kédougou-Labé en motocross
 Par une belle matinée naissante, nous sommes partis un groupe de quatre sur deux petites motos chinoises (125CC je crois). Je monte derrière Alassane, tandis qu'Alpha, qui n'est pas tranquille à l'idée de me voir prendre la route, s'est joint à Abdou, un jeune Peul guinéen de 17 ans qui rentre chez lui à Labé. A 7h30, nos sacs solidement ficellés sur les porte-bagages, le plein fait, casques et vestes mis, c'est le départ. Les premiers kilomètres, je savoure le plaisir de 
" Piste escalier "
sentir le vent sur la figure et la liberté de mouvement d'une moto versus l'écrasement des corps plaqués sur les sièges des taxi-brousse collectifs. Mais à peine 10 minutes de Kédougou, les routes disparaissent pour laisser place à des pistes ravinées par les pluies, coupées par des torrents profonds, ou la terre a disparu en laissant les rochers de latérite à découvert et taillés comme des escaliers. Ce n'est plus de la moto mais bien du motocross : je n'avais encore jamais monté des escaliers à moto, traversé des torrents d'eau atteignant les genoux en poussant la motot, glissé dans le sable et dérapé dans la boue comme dans un banc de neige. Souvent, les paysans et les motos ont créé des sentiers parallèle à travers les champs pour éviter les trous et bosses de la piste, ce qui fait que nous zigzaguons sans cesse de la piste aux champs, suivant une mince tracée sinueuse au milieu des hautes herbes. Notre vitesse moyenne est de 15 kilomètres à l'heure. Dans les montées la moto peine, le poids des bagages tirant vers l'arrière, dans les descentes, il faut faire attention de ne pas plonger par en avant! Il nous faut aussi éviter les nombreux animaux qui se promènent partout, vaches, chèvres, moutons et poules en liberté.
  
Deux arrêts nous donnent un peu de répit, la douane guinéenne, au millieu de nulle part où un douanier senior profite de mon passage pour donner une belle leçon de morale à ses congénères sur le fait qu'il faut absolument avoir un visa avant d'arriver à la frontière (ce que j'avais, mais beaucoup de Français essaient de passer sans visa), puis un autre arrêt pour réparer une crevaison - en changeant la chambre à air au complet - tout en mangeant une baguette avec du fromage Vache qui rit, une pomme divisée en quatre et une poignée d'arachides crues. La torture reprend bien vite, notre temps n'est pas très bon malgré nos efforts  vaillants. Chaque moto connaît un dérapage qui nous fait tomber dans la boue. Enfin, après six (6!) heures de motocross, nous atteignons la petite ville de Mali-Yemberm en Guinée. Il est 15h, je suis fatiguée et considère dormir ici. Mais le plus difficile étant fait, Alpha et son cousin décident de s'arrêter là, rassurées de mon sort, et me confient alors au jeune Abdou qui connaît bien le reste de la route et a fait preuve d'une maîtrise peu commune de sa moto tout au long de la route. Lui et moi repartons donc, sur une " vraie" route. En fait, si cette route est très large par rapport aux pistes, elle n'est pas pavée pour autant mais en terre et est souvent ravinée ou avec des nids de poules impressionnants. Il nous faut nous dépêcher un peu car nous voulons arriver à Labé avant la nuit et, surtout, la pluie quotidienne du soir. Bien vite, la fatigue s'ajoute aux courbatures du corps. Abdou se frotte les yeux mais refuse de s'arrêter, moi j'ai tellement mal aux genoux à force de rebondir constamment sur les trous et bosses que j'en ai envie de pleurer. La nuit tombe avant que nous arrivions, compliquant encore la conduite, mais la pluie, elle, tarde à tomber. Enfin, après quatre heures et demie de route, nous atteignons la ville de Labé.

Belle cascade sur la route de Labé
Abdou me laisse après avoir téléphoné au guide Cellou Diallo de Fouta Trekking qui vient me ramasser à la gare routière. Et là, le déluge nous tombe sur la tête, un violent orage qui a attendu que je sois arrivée en un seul morceau (un peu rabotée et meurtri). Je vais à l'hôtel  Tata où descendent les gens du CECI quand ils vont dans la région. Le gérant, un Peul, m'attend avec impatience, prévenu par la filière peule (en l'occurence Dian Diallo) de ma venue et tenu de "bien s'occuper de moi ". Il ressemble et parle de la même façon que Bellarmin au bureau; sa gentillesse, une pizza au four et une douche chaude (ma première en Afrique) achève de me rendre ma bonne humeur.

Dix heures de moto : je suis contente et fière d'être passée là où tout le monde disait que c'était impossible, mais je ne le referais pas de sitôt!


* D'après l'histoire des Peuls de Tierno Monénémbo, écrivain guinéen