Le Fouta Djalon
Le Fouta Djalon est une région montagneuse du nord de la Guinée où foisonnent montagnes vertes et cascades blanches. C'est une verdure exubérante, des herbes folles, des canyons vertigineux, des sentiers tortueux, des torrents impétueux, des villages nichés sous les arbres où dressés sur les hauts plateaux, des gens racés, débrouillards et hospitaliers. C'est la terre des Peuls, le berceau de leur histoire avant qu'ils ne se disséminent un peu partout en Afrique de l'Ouest. Ici, on parle poulard, on est musulman, on a comme héros Alpha Yaya Diallo (un des grands rois peuls) et Cellou Dalein Diallo, le politicien gagnant du premier tour des élections guinéennes de 2010.
Le Fouta, c'est aussi une terre de prédilection pour le trekking, les sentiers sont multiples et les paysages variés à couper le souffle. Fin saison des pluies, les sentiers disparaissent sous les herbes bien nourries, les pierres sont glissantes, les torrents dévalent et il fait encore très chaud et humide. Mais les nombreuses cascades et piscines naturelles permettent aux marcheurs de laver leur fatigue dans une eau fraiche et douce. En route, nous dormons parfois chez l'habitant, qui nous laisse sa case pour aller dans sa famille, parfois dans des cases construites pour accomoder les visiteurs. Les cases peules sont spartiates, mais construites avec ingéniosité. En effet un double mur d'un mètre de haut environ et protégé par le toit de chaume qui descend presque jusqu'au sol permet d'avoir un couloir circulaire à l'extérieur de la case qui sert à la fois d'espace de rangement, de cuisine et d'abri contre la pluie et le soleil, bien installés sur des tabourets creusés à même les troncs d'arbre où balancés dans un hamac fait de cordes de chanvre. Souvent, les cases sont joliment décorées à l'extérieur, tandis que l'intérieur, qui ne contient que les lits et les maigres possessions des familles, ne sert que pour dormir la nuit. Le jour, on vit dehors ou dans le couloir circulaire de la case.
Les repas se prennent en famille, chacun piochant des poignées de nourriture avec la main dans un grand plat commun. On mange du fonio (une céréale locale au grain petit comme du couscous fin et très léger) ou du riz avec des sauces faites de feuilles de manioc ou de feuilles de patates douces, avec parfois des gombos, et dans lesquelles on ajoute un petit morceau de viande, poulet, boeuf ou mouton. Un matin en partant, le guide me demande si je veux manger du poulet le soir. Ayant répondu oui, nous sommes partis, le guide devant, moi derrière et un porteur fermant la marche avec notre repas à la main, un coq vivant; porté par les pattes attachées, la tête en bas. Il fera avec nous le trajet de 6 heures, mangeant lui aussi pendant les arrêts et ce jusqu'à notre arrivée au village où il aura le cou tordu sans autre forme de procès.
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"Doï doï" ne suffit pas toujours
pour éviter la chute |
De toubab cadeaux à Porto photo
Ndiaram, ndiaram. Cent fois par jour nous répétons ces mots qui veulent dire à la fois bonjour, merci et au revoir. Quand on croise une personne dans les sentiers, on s'arrête pour les salutations d'usage. Dans les villages, tous les habitants, à commencer par les enfants, viennent nous saluer. Au Sénégal, les touristes blancs sont interpellés par un " Toubab, donne moi un cadeau ", alors qu'ici on nous salue d'un " Porto prends ma photo ". Porto se réfère à Portugais, les premiers blancs dans le coin. Mon guide, lui, est adepte du "doï doï", doucement, doucement sur les sentiers traitres en cette saison. Les habitants nous offrent le thé, dont le rituel peut prendre jusqu'à deux heures de temps. En effet, le thé se prépare en trois étapes. Les feuilles sont bouillies une première fois dans une casserole, puis le thé est versé d'une tasse à une autre en un long jet fumant jusqu'à faire monter une mousse impressionnante. Lorsque la mousse est jugée satisfaisante, le thé est servi. Une deuxième puis une troisième tasse sont préparées de la même façon en rajoutant à chaque fois de l'eau au même feuilles de thé. La première tasse est ainsi très amère, la deuxième un peu moins et la troisième carrément très sucrée. Les Peuls disent "sucrée comme la vie, sucrée comme la mort et sucrée comme l'amour" pour les trois tasses rituelles.
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Chez les enfants peuls, les aînés
s'occupent toujours de leur cadet |
Les Peuls et le commerce Mais les Peuls du Fouta Djalon, c'est aussi un peuple très débrouillard qui arrive à se faire une bonne vie, malgré l'éloignement et surtout le désintéressement du gouvernement, bien loin à Conakry. Au Fouta, il y a une richesse incroyable qui ne demande qu'à être exploitée : une richesse des terres et une variété innombrables de cultures de céréales, fruits et légumes, de l'élevage de vaches, moutons et chèvres et surtout, de l'eau en masse, de l'eau à boire, de l'eau pour les cultures et enfin, de l'eau pour produire de l'électricité. Malheureu-sement, tout cela reste très limité; les coupures d'électricité sont incalculables, les unités de production faibles, la transformation et la commercialisation inexistantes. Pourquoi? Il n'y a pas de volonté politique de la part du gouvernement central. Résultats, il n'y a pas assez d'électricité pour alimenter des unités de transformation, pas de routes pour transporter et vendre dans le reste du pays les produits et donc les fermiers, qui pourraient produire plus sans difficultés, ne le font pas car tout surplus est irrémédiablement perdu. Et les jeunes dans tout çà, n'ont pas d'emploi et se dirigent vers les villes. Alors c'est la débrouille, le petit commerce et l'entrepreneuriat, légal comme illégal, comme le trafic de motos et de cigarettes par delà les frontières. En fait, le Fouta est plus tourné vers la région peule de Kédougou au Sénégal ou encore vers le Mali. Là encore, les routes font défaut alors que ces dernières permettraient un désenclavement de cette région qui pourrait déboucher sur un commerce florissant. Mais les frontières et les gouvernemements en ont décidé autrement jusqu'à présent.
Cellou Dalein Diallo
C'est pourquoi les Peuls fondent tous leurs espoirs en la personne de Cellou Dalein Diallo, le candidat aux premières élections libres du pays qui a remporté le premier tour avec 44 pour cent des votes; devant son adversaire Alpha Condé, bon deuxième avec seulement 18 pour cent des votes. Dans les villages reculés du Fouta, les enfants venaient chanter devant notre case une chanson reprise par les radios et sur toutes les lèvres des Peuls :
Avec Cellou président, plus de coupures d'électricité
Avec Cellou président, plus de routes démolies
Avec Cellou président, plus de chômage
Avec Cellou président, ...
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Militants pour Cellou Diallo dans les rues de Conakry |
C'est dire que les attentes sont énormes pour ce candidat. Mais depuis l'indépendance en 1970, le pays a toujours été gouverné par des Soussous ou des Malinkés, deux ethnies importantes (mais moins nombreuses que les Peuls) de la Guinée. Alors les Peuls disent que c'est à leur tour et je le leur souhaite sincèrement. Mais surtout, je souhaite que tous les peuples de ce pays accepte les résultats des prochaines élections, quel qu'il soit, et que celles-ci se passent dans le calme et la démocratie transparente. Car les tensions sont palpables à Conakry, et les partisans d'Alpha Condé ne sont pas prêts de lâcher prise. Cependant; je crois les Guinéens prêts à tourner la page sur leur histoire tumultueuse et à enfin se concentrer sur le développement de leur beau et riche pays.